Sur les chemins de la Vouivre,
dans l’Aube


Nous venions de quitter la Commanderie Templière de Montaphilant et nous circulions au hasard des chemins, nous laissant guider au gré de l’esprit. La conversation vint, on ne sait trop pourquoi, sur la célèbre réponse d’Ibn’Arabi à Abûl’I-Wâlid Ibn Roshd (Averroës). Ibn’Arabi la raconte ainsi:

« J’étais encore à cette époque un adolescent imberbe. A mon entrée, le philosophe se leva de sa place, vint à ma rencontre en me prodiguant les marques démonstratives d’amitié et de considération, et finalement m’embrassa. Puis il me dit “Oui”. Et moi à mon tour, je lui dis: “Oui”. Alors sa joie s’accrut de constater que je l’avais compris. Mais ensuite, prenant moi-même conscience de ce qui avait provoqué sa joie, j’ajoutai: “Non”. Aussitôt, Averroës se contracta, la couleur de ses traits s’altéra, il sembla douter de ce qu’il pensait. Il me posa cette question: “Quelle sorte de solution as-tu trouvée par l’illumination et l’inspiration? Est-ce identique à ce que nous dispense à nous la réflexion spéculative?” Je lui répondis: “Oui et non. Entre le oui et le non, les esprits prennent leur vol hors de la matière, et les nuques se détachent de leur corps”. Averroës pâlit, je le vis trembler; il murmura la phrase rituelle: il n’y a de force qu’en Dieu, - car il avait compris ce à quoi je faisais allusion.[1] »

Le rapprochement se faisait avec les saints céphalophores du Christianisme qui, ayant eu la tête coupée, l’avaient ramassée et avaient marché avec celle-ci en la tenant bien en main, la portant au niveau du cœur. Plus de mental! La Voie du Cœur seulement! Il en est ainsi de sainte Valérie représentée sur un vitrail de la cathédrale de Limoges, tenant dans un linge sa tête tranchée sur sa poitrine alors qu’un soleil rouge la remplace. De même saint Denis est représenté sur un vitrail de l’église
Saint-François-Xavier à Paris (sacristie), tenant sa tête coupée dans ses mains, à l’endroit du cœur, tandis que les anges mettent à la place de sa tête un Soleil radiant. Il en ait beaucoup d’autres, comme saint Génitour (Le Blanc – Berry), sainte Nolwenn (Bretagne), etc.[2].


Sainte Valérie.
Vitrail de la cathédrale de Limoges.
(Dessin de Flamia)


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Saint Denis.
Vitrail de l’église Saint-Françoi-Xavier à Paris (sacristie).
(Dessin de Flamia)


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Soudain, nous remarquâmes un champ où se cultivait une plante fourragère, le lupin. Cela est très rare ! Quelques centaines de mètres plus loin, nous arrivions dans le village de Saint-Lupien ! L’église, chose rare actuellement en semaine, était ouverte. Et là, quelle surprise ! Une première statue de saint Lupien avec, à ses pieds, le dragon apprivoisé. Dans le cheminement initiatique imagé en Occident par la maîtrise du dragon, c’est l’étape qui précède celle de la tête tranchée.



Saint Lupien,
avec le dragon à ses pieds et la palme du martyr.

Statue de l’église de Saint-Lupien – Aube.
(Photo Régor)


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Sur l’autel du saint, un très grand tableau le représentant avec la tête tranchée, celle-ci prenant son envol dans le ciel, emportée par un aigle !


Saint Lupien
avec la tête coupée et l’aigle qui l’emporte dans les airs.

Peinture du Maître Autel de l’église de Saint-Lupien – Aube.
(Photo Régor)


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Sur le côté, une statue du saint, avec la tête tranchée et légèrement décollée ! La parfaite illustration de la réponse d’Ibn’Arabi à Averroès !


Saint Lupien,
avec la tête décollée.

Statue de l’église de Saint-Lupien – Aube.
(Photo Régor)


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[1] - Cité par Henry Corbin dans L’Imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn’Arabi – Flammarion, 1958, p.35.

[2] - Voir sur ce sujet le chapitre « La tête tranchée » dans notre livre La Vouivre, un symbole universel, écrit en collaboration avec Kinthia Appavou.